Carte blanche publiée le 1er février 2024 sur le site du quotidien Le Soir

Le 22 janvier dernier, dans l’émission « Let’s Talk Elections », diffusée sur Canal Z, Georges-Louis Bouchez débattait avec Pieter Timmermans, CEO de la FEB, notamment de la question de l’emploi dans notre pays pour les années à venir. Parlant plus précisément des CISP – les centres d’insertion socioprofessionnelle –, l’actuel Président du MR rappelait qu’il s’agit « de structures qui doivent normalement insérer les personnes qui sont éloignées de l’emploi » avant de s’interroger, non sans ambiguïté : « Je voudrais bien voir combien de personnes elles mettent à l’emploi ». A l’heure où, dans la sphère médiatique et politique, les débats sur l’emploi en Wallonie se multiplient, la question de la formation professionnelle et de son efficacité dans les processus de remise à l’emploi refait surface. Cette question n’est pas illégitime dans la mesure où le niveau de qualification et les compétences d’une personne constituent, parmi d’autres, des clés d’entrée sur le marché du travail. De manière générale, quoi de plus normal finalement que d’associer, comme il est habituel de le faire pour les politiques publiques, des objectifs à atteindre et que certains appellent – c’est dans l’air du temps – des indicateurs de performance.

Ce que nous contestons, en revenant aux propos de Monsieur Bouchez, c’est le choix à peine déguisé de la remise à l’emploi comme seul et unique indicateur de performance et, le cas échéant, gage de maintien du financement public. Ce discours est selon nous inaudible quand les dispositifs de formation s’adressent, comme le rappelle finalement Monsieur Bouchez lui-même, à des personnes « éloignées de l’emploi ». Dans ce contexte, il n’est selon nous pas raisonnable d’appréhender la réflexion sur la formation uniquement sur sa capacité à remettre les personnes à l’emploi.

La formation, plus nécessaire que jamais

La formation poursuit en effet une multitude de finalités : émancipation citoyenne, égalité des chances, épanouissement personnel, remédiation, socialisation, école de la seconde chance, éducation permanente, résorption du décalage entre offre et demande de travail, lutte contre le chômage, renouvellement des compétences des travailleurs, redynamisation des processus d’insertion (des jeunes) et de réinsertion (des plus âgés)…

Les dispositifs de formation sont en outre toujours le reflet des transformations socio-économiques qui sont à l’œuvre à une époque donnée. Et force est de constater que la nôtre est particulièrement instable : précarisation d’une partie grandissante de la population, désaffiliation sociale, fractures numériques, difficulté d’accès aux droits fondamentaux, chômage de longue durée, etc.

Il n’y aura jamais une seule formation miracle

Face à ces défis complexes, il serait illusoire d’imaginer qu’un dispositif unique de formation soit capable de répondre une fois pour toutes aux attentes du marché du travail. Tous les jours, sur le terrain, nous voyons concrètement les difficultés à résoudre le problème des métiers en pénurie, c’est-à-dire des emplois disponibles qui ne trouvent pas preneurs alors que le nombre de personnes au chômage reste conséquent et que des politiques publiques incitatives ne cessent de faire preuve d’imagination pour encourager les personnes à postuler : promotion et valorisation de ces métiers, formations assorties de primes, opérations « coup de poing pénuries », etc.

Une méthodologie spécifique

Compte tenu de l’évolution de notre société et de la grande hétérogénéité des situations des publics éloignés de l’emploi, nous défendons, en amont d’une remise directe à l’emploi, l’intérêt de devoir aussi dans certains cas initier des démarches d’accompagnement et d’émancipation des personnes.

C’est en effet aussi ce que font les 150 CISP chaque année en Wallonie, en formant environ 15 000 stagiaires dans près de 400 filières de formation. Nos formations poursuivent trois objectifs distincts mais complémentaires : la remise à niveau de savoirs de base, l’orientation professionnelle et l’apprentissage d’un métier. Pour ce faire, les CISP s’appuient sur une méthodologie spécifique avec des pédagogies alternatives, innovantes et un accompagnement individualisé qui leur confèrent une identité propre. La prise en compte de la personne dans sa globalité constitue notre réelle marque de fabrique.

Actifs depuis plusieurs décennies, nous sommes aujourd’hui mieux connus sous les acronymes DéFi (pour démarche de formation et d’insertion) et EFT (pour entreprise de formation par le travail). Une étude interne à notre secteur sur la notion d’impact social a par ailleurs mis en avant des apports considérables pour nos publics en matière d’estime de soi, de confiance, d’épanouissement, de sentiment de fierté, de compétences et d’utilité, d’envie d’apprendre, de perception des enjeux, de coopération et d’entraide… Autant d’incidences positives pour nos bénéficiaires qui peuvent mettre à profit ces acquis au service de leur trajectoire de vie, dans leur parcours d’insertion sociale mais aussi professionnelle.

Une réforme raisonnée

Faut-il aujourd’hui changer des choses ? Oui, très certainement. Une meilleure organisation du paysage de l’insertion socioprofessionnelle en Wallonie ne serait pas du luxe. Mais permettre aux dispositifs, dont les CISP, de pouvoir garder leur identité et continuer à travailler selon leurs propres spécificités est une nécessité. Demain, priver certains opérateurs de leurs moyens d’existence car ils seraient, à tort, jugés défaillants pour ne pas avoir remis à l’emploi tous leurs bénéficiaires, entrainerait deux phénomènes. D’une part, dans un réflexe de survie, certains opérateurs s’adapteraient au nouvel indicateur (l’impératif de remise à l’emploi) en sélectionnant finalement à l’entrée à la formation les personnes les plus proches de l’emploi. D’autre part, on assisterait à la cessation progressive et programmée des activités d’accompagnement des personnes éloignées de l’emploi et à leur relégation dans le champ exclusif de l’action sociale. Mais, dans les deux cas, ce qui est certain, pour nombreux de nos bénéficiaires actuels au sein des CISP, l’espoir de trouver un emploi correspondant réellement à leur projet professionnel, avec un salaire décent et de la stabilité mais encore, préalablement à cette étape, celui de regagner de la confiance en soi, pourraient malheureusement passer à la trappe.

Certes, ce n’est pas ici que nous pourrons convaincre Monsieur Bouchez de l’utilité des CISP dans les processus d’insertion socioprofessionnelle. Mais, puisqu’il « aimerait bien voir », nous l’inviterons très prochainement à venir visiter un CISP, là où il pourra enfin découvrir le travail que nous menons sur le terrain et comprendre que si les CISP occupent depuis longtemps une place fondamentale dans le paysage de l’insertion socioprofessionnelle, c’est parce qu’ils constituent effectivement un tremplin vers l’emploi ET un rempart contre l’exclusion sociale. En somme, deux indicateurs de performance…

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