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Les centres d’insertion socioprofessionnelle ne se contentent pas de former : ils transforment. Leur secret ? Une véritable intelligence collective, tissée d’observation, d’expérimentation et d’innovation quotidienne, ancrée dans la certitude que l’humain est en capacité et en droit d’agir et d’interagir.

En philosophie et psychologie, l’intelligence est définie comme “L’ensemble des fonctions psychiques et psycho-physiologiques concourant à la connaissance, à la compréhension de la nature des choses et de la signification des faits” (1).

Et un “assistant conversationnel numérique” de 2025 (2) propose qu’une “entité intelligente” serait “un être ou un système capable de percevoir son environnement, de traiter des informations et de prendre des décisions adaptées à une situation donnée”. Interrogée sur les traits caractéristiques d’une telle entité, elle avance que l’entité intelligente manifeste différentes capacités, à savoir : collecter des informations sur son environnement, analyser et organiser les données perçues, modifier son comportement en fonction de l’expérience passée, évaluer différentes options et choisir la plus appropriée, et enfin générer de nouvelles idées ou solutions.

A supposer qu’on puisse considérer chaque CISP comme une entité (à savoir : un tout qui est plus que la somme de ses parties, en considérant comme parties le personnel, les stagiaires, les partenaires et l’histoire de la structure), il est indéniable qu’ils font quotidiennement la démonstration de toutes ces capacités.

Intelligence relationnelle : accompagner singulièrement

L’intelligence première des CISP réside dans la centralité qu’ils accordent à l’humain, dans leurs valeurs et leurs pratiques. Car ils savent, par expérience, que chaque personne à accompagner et former est porteuse d’une histoire unique, qui impose un accompagnement individualisé. Comment, sinon, collecter des informations fiables permettant d’ajuster l’action à cette personne, dans le respect de sa vie privée et de sa liberté ?

À la singularité des personnes, un CISP répond par une proposition de relation singulière visant d’abord la construction d’une confiance mutuelle. Car tout CISP a très tôt observé que l’écoute attentive des stagiaires, de leurs aspirations et de leurs appréhensions sont les meilleurs garants d’une “(re) prise de pouvoir” de ces personnes sur leurs propres trajectoires. C’est ainsi que la formation se fait levier d’émancipation : d’humain à humain, on y (ré)apprivoise quotidiennement le droit d’être et de se construire à son rythme, dans l’interaction avec autrui.

Intelligence méthodologique : dépasser les approches classiques grâce à l’andragogie

Bon nombre de stagiaires, avant de s’inscrire dans un CISP, sont passés par d’autres dispositifs sans parvenir à une insertion sociale ou professionnelle durable. L’innovation s’impose donc ! Et les CISP s’y emploient, en s’appuyant sur les principes de l’andragogie (3), qui reconnaît les spécificités de l’apprentissage adulte.

Contrairement à la pédagogie traditionnelle, l’andragogie prône un apprentissage actif et contextualisé, adapté aux besoins immédiats des adultes. Dans cette logique, les CISP privilégient :

  • Une approche expérientielle : l’apprentissage par des expériences et des savoirs déjà acquis par les apprenants ; les mises en situation, les stages et les projets concrets permettent de renforcer les compétences de manière pratique.
  • Une orientation vers la résolution de problèmes : tant en EFT qu’en DéFI, les activités de formation font appel à des situations réelles afin de mettre les stagiaires en capacité de surmonter des obstacles spécifiques et de développer des compétences transférables dans leur quotidien et leur futur travail.
  • Un apprentissage collaboratif et participatif : parce que l’apprentissage des adultes est fortement amélioré par les échanges entre pairs. Loin de se limiter à un face-à-face avec le formateur, le CISP mobilise le “groupe” comme moteur d’une dynamique d’entraide et de coopération, qui fédère les forces, donne du sens aux règles de vie en commun et convertit les différences entre individus en complémentarités.
  • Une valorisation des réussites progressives : chez de nombreux stagiaires ayant connu des échecs relationnels, scolaires ou professionnels, leur estime de soi est fréquemment en berne à l’entrée en formation. En CISP, ils trouvent – parfois pour la première fois de leur vie – un cadre où chaque progrès, même modeste, est reconnu et encouragé pour devenir source de motivation et de confiance en soi.

Intelligence collective : le groupe comme levier de transformation

On l’a dit : loin d’être un simple cadre d’apprentissage, le groupe joue, en CISP, un rôle essentiel dans le processus d’apprentissage et d’insertion des stagiaires. Mais la dimension collective imprègne également l’organisation des CISP eux-mêmes : une équipe CISP est par essence pluridisciplinaire, associant formatrices et formateurs, agents de guidance, assistants sociaux, coordinations pédagogiques… Et ses membres travaillent en étroite collaboration, en mutualisant leurs expertises pour offrir un accompagnement cohérent et efficace, ajusté à chaque stagiaire.

Intelligence associative : la démocratie comme méthode et horizon

Les CISP s’inscrivent dans une dynamique associative forte. Portés par des ASBL, des CPAS, ils dialoguent, coopèrent, s’auto-évaluent en continu et se professionnalisent à travers des fédérations représentatives gouvernées démocratiquement.

Ils contribuent ainsi à la vitalité du secteur associatif, dont l’histoire belge démontre les vertus pour le maintien d’une démocratie sociale. L’associatif offre en effet des réponses aux besoins collectifs et aux oubliés de l’économie marchande, agit comme laboratoire d’innovation sociale, construit l’essentiel des espaces de participation citoyenne et de pouvoir d’agir, contribue à la cohésion sociale en travaillant le lien, l’appartenance, et la coopération entre individus et entre organisations. En intégrant ces principes, les CISP ne sont pas de simples prestataires de formation, mais des acteurs engagés de l’économie sociale et solidaire, qui tous ensemble contribuent au déploiement d’une société juste et inclusive.

En intégrant ces principes, les CISP ne sont pas de simples prestataires de formation, mais des acteurs engagés de l’économie sociale et solidaire, qui tous ensemble contribuent au déploiement d’une société juste et inclusive.

Un modèle unique et à préserver

Parce qu’il associe un accompagnement socio-pédagogique individualisé et une formation largement collective, le dispositif CISP, unique en Wallonie, permet à chaque personne éloignée de l’emploi d’avancer à son rythme, sur un chemin qui lui est propre et qu’elle peut déterminer avec l’aide de professionnels expérimentés, aux profils diversifiés. L’étude “Bien-être et Insertion” (4), menée dans les CISP en 2018 en a démontré toute la pertinence : au terme d’une formation CISP d’au moins 300 heures, 65% des stagiaires voient leurs projets professionnels et personnels progresser significativement, 60% ont une estime de soi meilleure qu’en début de formation, 36% voient diminuer leurs problèmes les plus importants. Les statistiques les plus récentes de l’Interfédération des CISP démontrent par ailleurs que 70% d’entre eux connaissent une sortie positive (entrée dans une formation plus professionnalisante ou plus qualifiante, ou dans l’emploi au terme de leur formation).

Intelligent au sens fort du terme, ce modèle est donc aujourd’hui la meilleure réponse à la nécessité, pour la Wallonie, d’assurer l’accompagnement des personnes peu qualifiées et éloignées de l’emploi confrontées à des problématiques multiples, en vue de leur (ré)insertion durable et de qualité dans le tissu social et le marché du travail.

Par Céline Lambeau, Conseillère permanente pour la fédération CAIPS

 

[Cet article provient de l’essor n°111]

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(1) : Définition proposée en 1994 par le TLFi, version informatisée du TLF, un dictionnaire des XIXe et XXe siècles en 16 volumes, réalisé par l’ATILF, laboratoire public de recherche du CNRS et de l’Université de Lorraine.

(2) : ChatGPT-4, robot conversationnel développé par l’entreprise OpenAI, interrogé en février 2025

(3) : Concept développé au XXe siècle pour désigner les méthodes et principes d’enseignement destinés aux adultes. Si l’éducation des adultes existe depuis l’Antiquité, c’est le pédagogue Malcolm Knowles (1913-1997) qui a formalisé l’andragogie en tant que discipline distincte de la pédagogie traditionnelle, orientée vers l’enfant.

(4) : Plus d’infos sur caips.be/actions/bien-etre-et-insertion