Photos © BV/IF
Une tendance actuelle vise à déprécier les stagiaires en CISP, à les définir selon des jugements erronés et violents affectant leur respectabilité. Pour sortir de ce prisme et rejoindre davantage les réalités les concernant et les définissant, cinq CISP ont été rencontrés. Adrien Laruelle, coordinateur pédagogique chez AFICo, Sandrine de Ridder, directrice adjointe de Mode d’emploi, Marie Hermans, directrice du Centre européen du Travail (CET), Sandrina Destaerke, coordinatrice pédagogique à Lire et Écrire Namur et Jean-Luc Breda, directeur de Forma, nous parlent ainsi des ressources que déploient les stagiaires dans le cadre de leur formation et face aux épreuves de leur quotidien.
Il n’est pas rare que les responsables interviewés ici se retrouvent confrontés à des jugements extérieurs mettant en évidence une méconnaissance du public CISP. Celui-ci, par exemple, “viendrait en formation pour “se planquer”, “pour s’occuper afin que le Forem le laisse tranquille”, “il serait satisfait de sa condition et viendrait chercher ses allocations de chômage”, “il manquerait de motivation voire de capacités”…
C’est pourtant sous une tout autre réalité que les centres identifient les stagiaires. De fait, le parcours de ces dernier·es est bien souvent jalonné d’un ensemble d’épreuves susceptibles d’empêcher l’inscription et le suivi de la formation. Adrien Laruelle évoque à ce titre “les traumas pouvant devenir des blocages les empêchant d’aller plus tôt de l’avant”. Sandrine de Ridder insiste sur “l’emprise que connaissent beaucoup de femmes liée à l’absence d’emploi” et donc “à leur manque d’autonomie financière”. Marie Hermans fait référence au phasage du parcours de formation avant l’emploi : “il y a aussi des compétences de base à acquérir, d’où l’importance de mettre vraiment des étapes avant de parvenir à l’emploi”. De même, comme l’indique Sandrina Destaerke dans la foulée des autres interviewé·es, “la charge éducative et de garde des enfants incombe bien souvent aux femmes”. Enfin, de manière transversale, Jean-Luc Breda aborde la question de la mobilité à travers l’absence de moyen de transport personnel et la distance avec le lieu de formation : “Il y a des personnes seules avec enfants qui doivent prendre plusieurs transports pour venir alors qu’on est quand même dans un cadre où elles doivent être là à 7h 00 du matin.”
“Il y a aussi des compétences de base à acquérir, d’où l’importance de mettre vraiment des étapes avant de parvenir à l’emploi”.
Et pourtant, que de ressources… !
Les propos du directeur de Forma nous amènent au cœur de celui de cet article : le volontarisme, le courage et la persévérance que démontrent les stagiaires. Les interviewé·es l’expliquent à travers de multiples situations. Les épreuves sont bien souvent surmontées et c’est ce sur quoi insiste tout particulièrement Sandrine de Ridder : “Ce sont des warriors, les femmes en formation ! C’est-à-dire qu’elles ont une pression sociale à la réussite, une pression administrative, une pression financière, une pression familiale… et malgré l’interaction de toutes ces formes de pression, elles sont là, elles sont en formation ! Elles sont rayonnantes, elles sont combattives !”
Marie Hermans fait part de son côté de l’investissement que mettent en acte les stagiaires en ISP : “Je pense qu’au final, la vie est plus compliquée quand on est en formation. Entrer en formation, ça montre une prise de risques ! (…) On a des filières où ils·elles sont quand même là tous les jours, toute la journée et pour certain·es, il y a aussi du travail à faire en plus à la maison. Je ne suis pas sûre que “se planquer” ce soit ramener du travail tous les jours chez soi !”
La satisfaction de la condition d’allocataire social est également déconstruite quand on s’attarde un peu à connaitre les stagiaires. Jean-Luc Breda continue : “À 2€ brut de l’heure sur un temps plein, pendant une durée d’environ douze mois, en apprenant et en produisant, oui, je n’ai pas d’autre définition que celle des personnes volontaires, courageuses, qui se remettent en question et qui font preuve, clairement, d’une intention d’insertion car il y a vraiment l’objectif de quitter le système d’aide sociale.”
La volonté des stagiaires à trouver un emploi caractérise aussi immanquablement le discours des responsables rencontrés. Sandrina Destaerke précise à ce titre qu’“il y a un public en alphabétisation qui est prêt à cheminer et aller vers la formation qualifiante ou, même sans passer par là, aller à l’emploi”. (Re)prendre sa place au sein du monde du travail peut ainsi s’observer en sortant du cadre, en cassant les codes préétablis. Cela se remarque à l’échelle individuelle, comme on peut le voir avec Adrien Laruelle : “Un profil de personnes particulièrement impressionnant concerne celles qui veulent se réinventer complètement. Ce qui peut arriver notamment à la suite de problèmes de santé. Ce fut par exemple le cas d’un électricien qui s’est complètement reconverti en reprenant des études d’aide-soignant à la suite de notre formation d’orientation.” Mais on le constate aussi à travers l’angle collectif avec Sandrine de Ridder qui aborde l’entrée dans des métiers connotés masculins : “On a là des femmes qui ont déployé toute leur énergie pour pouvoir trouver un boulot dans le cadre de ce qu’elles voulaient, alors que c’est vraiment difficile d’entrer dans les métiers genrés. Cependant, il n’y a pas de limites à pouvoir y travailler, c’est juste une construction sociale. Et quand tu les entends parler, elles sont juste hallucinantes ! Même moi qui travaille dans le social, j’irais travailler en menuiserie !”
“À 2€ brut de l’heure sur un temps plein, pendant une durée d’environ douze mois, en apprenant et en produisant, oui, je n’ai pas d’autre définition que des personnes volontaires, courageuses, qui se remettent en question et qui font preuve, clairement, d’une intention d’insertion…”
Se révéler par le parcours de formation
Les parcours montrent bien la persévérance des stagiaires et l’importance de leur inscription dans un réseau de partenaires afin de soutenir leur cheminement. Sandrina Destaerke : “Il y a beaucoup de parcours positifs. Je pense par exemple à un jeune homme qui venait en formation en alphabétisation chez nous. En plus de ça, il venait aussi à notre module de formation au permis de conduire car c’est important pour l’autonomie et l’accès à l’emploi. Il allait également au Forem à Saint-Servais parce qu’il y avait des découvertes-métiers. À présent, il a fait sa formation et il a trouvé un emploi.”
Adrien Laruelle explique également qu’“il y a des parcours emblématiques, voire de rêve. C’est par exemple le cas avec un stagiaire qui cherchait une forme de contact avec la nature, un “retour à la terre”. Au fil de sa formation, on s’est rendu compte que cette personne avait vraiment des capacités pédagogiques et de partage de ses passions. Il a ensuite pu faire un stage avec une Asbl qui aborde ces aspects-là et il a toujours été présent malgré la distance. Il a ensuite été engagé pour un remplacement par son endroit de stage et y est maintenant en CDI. C’est un lieu qui lui convient parfaitement. En plus, nous, dans le cadre de nos activités de remobilisation, on est en partenariat avec cette structure. Maintenant, on s’adresse à lui un peu comme à un collègue !”
De même, Marie Hermans tient à mettre en évidence le fait que “les parcours peuvent parfois être longs mais en même temps avoir tout leur sens”. Ce fut par exemple le cas pour une stagiaire qui, en raison de son isolement social et de ses difficultés de sociabilité, a suivi plusieurs formations successives durant trois à quatre ans avant de décrocher un CDI. Le réseau de partenaires et les professionnels de la formation se révèlent cruciaux pour soutenir au mieux ce type de trajectoire. Après avoir été réorientée par le CET, la personne a de fait commencé par suivre les activités du Service d’insertion sociale du CPAS, elle a par la suite suivi une formation d’orientation au CET, débouchant sur les métiers administratifs. Face à des difficultés en français et le rythme intensif de la formation, elle a d’abord suivi de la remise à niveau dans un autre organisme. C’est après qu’elle est revenue au CET pour se former à l’administratif. Elle a par la suite pu travailler sous contrat Article 60 dans une entreprise d’insertion avant d’y obtenir un CDI. “Cela a pris plusieurs années, mais ce fut nécessaire pour une insertion durable et révéler sa persévérance”, précise Marie Hermans.
Des parcours longs mais plein de sens, ce fut par exemple le cas pour une stagiaire qui, en raison de son isolement social et de ses difficultés de sociabilité, a suivi plusieurs formations successives durant trois à quatre ans avant de décrocher un CDI.
Les qualités et ressources déployées par les personnes pourraient encore être étayées longuement tant elles sont significatives d’une volonté à trouver sa voie. De même, et enfin, ces qualités pourraient difficilement autant se révéler à elles-mêmes sans les moyens essentiels dont disposent les CISP et qu’ils mettent en place au quotidien pour renforcer les parcours des stagiaires.
Par Sébastien Van Neck, Lire et Écrire Chargé de projets Éducation permanente, Lire et Écrire en Wallonie
[Cet article provient de l’essor n°111]
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